Plaisir de comprendre

S’attacher au pouvoir de la vertu ? Ou se soumettre au culte de l’amour de soi ?

« Faire de la force la base de l’ordre social, c’est supposer que l’homme est un être purement matériel, c’est le ravaler au-dessous des animaux, qui connaissent une autre loi que la force, puisqu’ils y résistent en obéissant à l’instinct. »

Vertu ? Ou amour de soi ?
D’après Félicité de la Mennais

 

Textes de Félicité de la Mennais, Essai sur l’indifférence en matière de religion ( 1836-1837). Diffusé sur google book. Ebook free. (gratuit)

Présentation de l’auteur :
Félicité de la Mennais est né le 19 juin 1782 à Saint Malo et mort le 27 février 1854 à Paris. Il est un prêtre de Vannes, écrivain, philosophe et homme politique français. Il a donc vécu à l’époque de la révolution française. Il est co-fondateur, avec son frère, de la Congrégation de Saint Pierre. Défnitition Wikipedia.f


• P. 278 : « Les mœurs, ou les lois morales, achèvent ce que les autres lois ont commencé, et mettent l’ordre dans les actions les plus secrètes et les plus indépendantes de la justice humaine, en réglant tout dans l’homme, jusqu’à ses pensées et ses désirs. L’État est bien ordonné, et la société heureuse, quand la constitution, les lois, les mœurs, concourant avec un parfait accord au même but, sont l’expression exacte des rapports naturels ou nécessaire des êtres sociaux. »

• P. 281 : « La force, puissance physique, maintient l’ordre dans le monde physique, parce qu’elle agit toujours selon certaines lois immuables et sagement ordonnées dans le monde moral, parce qu’entre les mains d’agents libres et imparfaits, elle ne sert souvent qu’à réaliser des volontés imparfaites ou déréglées. De plus, faire de la force la base de l’ordre social, c’est supposer que l’homme est un être purement matériel, c’est le ravaler au-dessous des animaux, qui connaissent une autre loi que la force, puisqu’ils y résistent en obéissant à l’instinct. »

• P. 286 : « Et remarquez que, de me me qu’en excluant Dieu de la raison de l’homme on détruit toute vérité, toute loi morale, tout devoir, toute vertu, pour ne laisser subsister que l’amour exclusif de soi, ou l’intérêt personnel ; en excluant Dieu de la société, on détruit toute vérité sociale, à la place l’intérêt particulier, devenu le seul principe d’ordre dans la société comme dans l’individu.»

• Suite p. 287 : « Quand ces opinions funestes viennent à se répandre dans un peuple, quand on a persuadé aux hommes que chacun ne doit rien qu’à soi, que l’intérêt personnel est l’unique règle de la volonté, qu’on peut légitimement tout ce qu’on peut impunément (sans être puni entre autre par la loi) ; lorsqu’en moi l’autorité n’est plus que la force, l’ordre social que la force, la morale que la force, chacun essaie la sienne, et travaille à l’accroître en s’assujettissant celle des autres, et l’indépendance produit une tendance universelle à la domination. La société se transforme en une vaste arène où tous les intérêts s’attaquent, se combattent avec fureur, tantot corps à corps, tantôt en masse, selon les convenances des passions. »

• P. 297 : « La haine des autres, fruit de l’amour exclusif de soi, anime les peuples comme les individus, et les rend durs, jaloux, destructeurs. Cette passion barbare, odieuse modification de l’orgueil, forme surtout le caractère des nations ou le principe athée de la souveraineté de l’homme est publiquement consacré par des institutions populaires. Cela est si vrai que Rousseau regarde le christianisme comme peu propre à former des citoyens, à cause qu’il inspire un esprit de douceur, et détache des choses de la terre (contrat social, livre IV, Chap.VIII). C’est à dire parce qu’il substitue l’amour universel des hommes à ce farouche patriotisme, si fatal à l’humanité, passion violente et impitoyable, qui ne fait pas que les citoyens s’entraiment, mais qui fait que l’on hait tout ce qui n’est pas citoyen. »

• P. 312 : Rousseau dit dans Emile, tom. III , page 118 : « Il y a quelque ordre moral partout où il y a sentiment et intelligence. La différence est que le bon s’ordonne par rapport au tout, et que le méchant ordonne le tout par rapport à lui. Celui-ci se fait le centre de toutes choses, l’autre mesure son rayon et se tient à la circonférence. Alors il est ordonné par rapport au centre commun qui est Dieu, et par rapport à tous les cercles concentriques, qui sont les créatures. Si la Divinité n’est pas, il n’y a que le méchant qui raisonne, le bon n’est qu’un insensé. »

• P. 315 –16 : « Ne constituant la société que par la raison seule, sans l’intervention de Dieu on est conduit à ne reconnaître d’autre autorité, d’autre droit, d’autre loi que la force dirigée par l’intérêt particulier ou par les passions ; et quand on essaie de constituer les mœurs par la raison seule, sans l’intervention de Dieu, on est également conduit à ne connaître d’autre loi, d’autre droit, que la force dirigée par l’intérêt particulier ou par les appétits, c’est-à-dire que, dans l’un ou l’autre cas, on attribue à l’homme la souveraineté absolue de lui-même ; et il y a lieu de s’étonner que Rousseau n’ait pas vu que sa doctrine du contrat social n’est que l’athéisme pur appliqué à l’ordre social …. .
Mais quelle société pourra se maintenir, lorsque les droits de chacun n’auront d’autre règle que ses désirs, et d’autre limites que sa force, à laquelle encore on donne la ruse et la fraude en supplément ? Ou plutôt comment concevoir, sous la notion de société, un assemblage d’êtres humains ennemis naturels les uns des autres et sans cesse occupés à se nuire mutuellement?


Dans cette horrible anarchie de volontés contraires et d’intérêts opposés, de forces inégalés et de désirs inégaux, l’amour de soi se confond avec la haine d’autrui ; et l’homme assujetti à la seule loi des appétits, indépendant de toute autorité, et libre de tout devoir, ainsi que le peuple souverain, comme lui, non plus, n’a pas besoin de raison pour légitimer ses actes : il suffit qu’il veuille et qu’il puisse, à ces deux conditions tout lui est permis. Le champ, la maison, la femme de mon voisin, sa vie même, m’appartient de droit naturel, si je la désire, et que je sois le plus fort. La nature n’interdit à l’homme que ce qu’il lui est physiquement impossible d’obtenir ; la borne de son pouvoir ou de ses convoitises est la borne de son droit.»

• P. 317 : « A-t-il faim de son semblable, il peut, s’il en a la puissance physique, manger sa chair et boire son sang, avec aussi peu de scrupule qu’il mange un morceau de pain et s’abreuve de l’eau des fontaines *. Et l’on n’entrevoit pas même, au milieu de ce conflit de passions, la consolante possibilité de la paix, ou seulement d’une trêve, puisqu’aucun pacte n’est obligatoire, que chaque promesse peut cacher une embuche perfide, et qu’enfin nul n’est lié que par son propre interêt.

Plus d’État donc, plus de famille, plus d’union, plus de sécurité . L’homme tremblera de terreur à la rencontre de l’homme, plus terrible à ses yeux que le Caïman du Gange et le tigre du Zara. Que si quelquefois l’instinct rapproche au hasard deux individus de sexe différent, leur appétit satisfait, ils se regarderont avec effroi, et le plus faible se hâtera de fuir dans la crainte d’entre dévoré . »

• P. 319 : « Quand les doctrines matérialistes, qui réduisent la morale à l’intérêt particulier, s’introduisent chez un peuple, d’ordinaire leur premier effet est de troubler l’ordre politique et de diviser les citoyens, en exaltant sans mesure le désir de la domination. Tout le monde veut commander, personne ne veut obéir : on se dispute le pouvoir avec rage ; et l’État déchiré succomberait sous les factions, si les âmes, peu à peu se dégradant, et mûres enfin pour tout supporter, ne se précipitent elles-mêmes au devant du despotisme : car c’est dans l’anarchie que se préparent les éléments de la servitude ; plus l’anarchie a été complète, plus la servitude qui la suit est profonde. »

• Note de l’auteur de la page 317 : * « Ceci paraitrait exagéré si la philosophie n’avait pas elle même tiré cette horrible conséquence de ses principes. Dans un ouvrage publié en 1791, Brissot établit sans déguisement le droit d’anthropophagie. On attribue au même auteur La Théorie du vol et l’Apologie du vol. C’était un puissant philosophe que ce Brissot ! »


. Images Pixabay : en tête- Stefan keller, dans le texte Yuri B.

3 réactions sur “S’attacher au pouvoir de la vertu ? Ou se soumettre au culte de l’amour de soi ?

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